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Panser la ville, entretien au long cours

PENDANT LA CAMPAGNE ÉLECTORALE, LE SUJET QUI REVENAIT LE PLUS SOUVENT LORS DE NOS ÉCHANGES SUR LES MARCHÉS, C’ÉTAIT L’URBANISME. ALORS, AU MOMENT DE RÉDIGER CE 3ÈME NUMÉRO, IL NOUS A SEMBLÉ NÉCESSAIRE D’APPORTER UN ÉCLAIRAGE SUR CE SUJET AUSSI SENSIBLE QU’ESSENTIEL POUR LES HABITANTS.

Mais faute de compétences dans le domaine, nous nous sommes rapidement trouvés démunis pour aborder de manière pertinente un domaine aussi vaste et complexe. Il nous fallait un fin connaisseur de la question pour nous expliquer en détail la façon dont on pense et bâtit une ville. Rendez-vous est pris avec Pierre qui a travaillé au service d’urbanisme de la ville de Toulouse puis de la Métropole pendant plus de 20 ans et qui, avec son regard malicieux, est intarissable sur les politiques d’aménagement urbains. Morceaux choisis de nos deux heures de discussion à bâtons rompus.

Faire évoluer la ville

Pierre : En urbanisme tout est complexité. Une ville qui n’évolue pas est une ville musée, mais faire table rase du passé, c’est perdre l’âme de la ville, donc il faut trouver cet équilibre. Il y a eu une évolution de la société sur ces questions d’architecture et d’urbanisme qui n’intéressaient pas le grand public dans les années 70 alors qu’aujourd’hui chacun se sent concerné. A l’époque, tout le monde trouvait bien de faire un parking souterrain sous la place du Capitole. Maintenant, tout le monde trouverait absurde de construire un parking à cet endroit.

L’échelle de temps de la ville

Pierre : À l’échelle d’une ville comme Toulouse, les plans d’urbanisme se construisent sur 20 ans minimum et donc ça ne rentre pas dans un mandat de maire. Une ville se détruit et se reconstruit, ça sédimente, c’est inéluctable. La plupart des réalisations urbaines actuelles ont été prises pendant le mandat de Pierre Cohen (NDLR entre 2008 et 2014). La difficulté pour un élu, c’est à la fois de répondre aux problématiques du quotidien comme la largeur d’un trottoir ou les places de stationnement et de développer une vision de la ville dans 20 ans.

Permis de démolir ?

Pierre : En architecture, on peut démolir à la seule condition de savoir faire mieux, ou tout du moins aussi bien. Est-ce que ce qu’on mettra à la place sera de la même qualité ? Ne fait-on pas disparaître quelque chose que l’on ne sait plus faire ? La qualité, c’est l’équilibre dans le contexte, l’adéquation entre la construction et le besoin exprimé, l’émotion qui va naître en regardant la construction ou en l’utilisant, la pertinence des choix en fonction de l’époque et de ses enjeux, etc.

Densifier ou ne pas densifier, that is the question

Pierre : L’aménagement et la planification urbaine décident les grandes masses d’activités, de logements ou d’espaces libres. L’étalement urbain ne génère pas que du bâti, il induit aussi des transports, des infrastructures, et des dépenses d’énergies supplémentaires. À l’inverse, la densification de la ville centre amène à une économie d’espace, un agrément de vie de par la proximité aux services qu’il génère, un nombre d’usagers suffisant pour induire l’installation de transports en commun, etc. On peut densifier la ville sans violenter les gens par des formes urbaines de rupture (tour, gros collectifs …), par exemple en donnant un peu de droit à construire pour faire des extensions mesurées dans des secteurs pavillonnaires, sans en changer le caractère. Si on rajoutait un étage de plus sur tout Toulouse, on logerait beaucoup de monde sans changer la perception de la ville.

Le manque d’encadrement du marché par les pouvoirs publics génère la spéculation immobilière qui elle rend les choses violentes. C’est la manière d’organiser les volumes, la forme urbaine, qui fait la densité : on ne peut pas la réduire à une alternative entre tours et pavillons. Toulouse est à peine plus grande que Paris en superficie (118 km2 contre 105 km2), mais a une densité presque 6 fois plus faible (3781 habitants/km2 contre 21347 habitants/km2 : ainsi chaque mètre de trottoir, de rue, d’éclairage public… coûte au moins 5 fois plus cher au Toulousain qu’au Parisien !

Toulouse, ville centriste ?

Pierre : On peut considérer que le centre-ville de Toulouse est un bien commun métropolitain car il est fréquenté autant par les Toulousains que par les non Toulousains. La rue Alsace-Lorraine compte seulement une vingtaine d’habitants alors qu’elle est fréquentée par 35 000 personnes par jour (et jusqu’à 90 000 lors de certains évènements). La politique urbaine de l’équipe actuelle use de cet argument en favorisant des projets du centre-ville au détriment d’autres aménagements dans le reste de la métropole. Le système électoral favorise ces choix : plus d’habitants, c’est plus d’électeurs, de ce fait les territoires les moins denses et leurs habitants sont défavorisés, plus loin des services des transports en commun ou des équipements.

Vues aériennes du quartier du Mirail 1950-2021©IGN
Vues aériennes du quartier du Mirail 1950-2021©IGN

Les ingrédients du bon urbanisme

Pierre : Il faut de la modestie. Ce qui paraît évident aujourd’hui ne le sera probablement plus dans 20 ans ! Le quartier du Mirail, quand il a été construit, était reconnu internationalement comme un modèle d’expérience urbaine. Les appartements de la Reynerie étaient beaux, traversants, bien pensés : on voulait tous y habiter ! Depuis, on a appris que, pour fonctionner, les espaces publics devaient être lisibles au premier coup d’œil, ce que la séparation des usages avec son système de dalles ne permettait pas.

L’urbanisme, ce n’est pas un seul métier. Il y a un ensemble de métiers de l’urbain : sociologue, architecte, designer, géographe, policier, etc. Tous travaillent ensemble pour construire la ville, et l’urbaniste en chef, c’est le Maire ! L’urbanisme idéal, c’est celui qui est guidé par la manière de faire et non par une doctrine. Aujourd’hui les mouvements les plus avancés en termes d’urbanisme sont ceux qui intègrent le changement et permettent d’adapter les projets à un futur qu’on ne connaît pas encore.

L’indispensable implication des habitants

Pierre : Faire de l’urbanisme, c’est assez facile, faire de la démocratie, c’est tout autre chose. Faire adhérer les habitants à des projets est une tâche difficile, d’autant plus dans un contexte électoral. Les meilleurs urbanistes sont ceux qui savent faire de la concertation.

Les vertus de l’expérimentation

Pierre : Suite aux travaux de la ligne B du métro lors du premier mandat de Jean-Luc Moudenc, la rue d’Alsace Lorraine a été coupée à la circulation automobile pendant plusieurs mois : il est ainsi apparu évident qu’il ne fallait pas rétablir la circulation, alors que dans un autre contexte les politiques n’auraient pas osé le décider et les usagers l’accepter. La proximité (6 mois) des élections municipales de 2008 a orienté le choix vers un aménagement à priorité piétonne rapide et provisoire dont Pierre Cohen élu par la suite, a pris acte en réalisant en 3 ans un aménagement pérenne.

Le mot de la fin

Pierre : Quand on travaille sur une ville qui porte 2000 ans d’histoire, il faut l’aimer pour ce qu’elle est, et apprendre à s’accommoder de ses caractéristiques pour en faire des atouts. Tout peut évoluer plus rapidement qu’on ne le croit s’il y a une volonté politique de faire. 

POUR COMPRENDRE :

Urbanisme tactique : Urbanisme tactique : L’urbanisme tactique désigne un urbanisme citoyen, participatif et éphémère, porté par des habitants, des communautés et/ou des militants et qui mobilise souvent les ressorts de l’art et de l’évènementiel. Il vise une transformation de la ville, pour la rendre plus conviviale et accueillante, et encourage un questionnement sur les usages de cette ville (Wikipedia). Par exemple, à la suite du confinement, de nombreuses villes ont mis en place des pistes cyclables (“Coronapistes”) et aménagé des terrasses de restaurants dans l’espace public pour faciliter l’adaptation aux contraintes sanitaires.

PLU : Le plan local d’urbanisme (PLU) est un document qui fixe en conséquence les règles générales d’utilisation du sol sur le territoire considéré. Pour la Métropole de Toulouse, ce document appelé PLUIH doit être agréé par l’ensemble des 37 communes. Chose exceptionnelle, il a été annulé par le Tribunal Administratif en mai 2021 au motif d’un étalement urbain non maîtrisé (espaces verts, agricoles et forestiers).

POUR ALLER PLUS LOIN

  • Le livre : Manifeste pour un urbanisme circulaire – Pour des alternatives concrètes à l’étalement de la ville de Sylvain GRISOT (Editions Apogée – 2020)
  • Une vidéo : Urbanisme & Energie – comment évoluer vers des villes durables ? de l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Marseillaise (AGAM) > sur YouTube
  • Le site Remonter le temps de l’IGN qui permet de comparer en ligne, simplement et pour toute la France, des cartes et photographies aériennes anciennes et actuelles. > sur remonterletemps.ign.fr

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