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Messager : une adresse qui va disparaître.

DEPUIS 10 ANS, LES DERNIERS PROPRIÉTAIRES DE L’IMMEUBLE MESSAGER À LA REYNERIE LUTTENT CONTRE LES EXPROPRIATIONS QUI LES MENACENT. L’IMMEUBLE, IMPLANTÉ DANS CE QUARTIER JUGÉ PRIORITAIRE, EST SOUMIS À UNE VOLONTÉ POLITIQUE DE RÉAMÉNAGEMENT URBAIN DANS LAQUELLE LES HABITANTS ACTUELS NE SEMBLENT PLUS AVOIR LEUR PLACE. POURTANT, LA DÉMOLITION EST-ELLE TOUJOURS LA SEULE SOLUTION ?

Toulouse, comme beaucoup de grandes villes, est soumise à une dynamique de gentrification encouragée par des volontés politiques qui mettent tout en œuvre pour « changer la population et les têtes [1]» dans les quartiers dits populaires. Plusieurs quartiers toulousains sont touchés par cette politique : les habitants du quartier Bonnefoy luttent contre les bulldozers sur l’avenue de Lyon, les habitants de la cité bleue dans le quartier des Minimes doivent quitter les lieux, et le plus vieux, le plus symbolique, le plus connu de tous, le quartier du Mirail, voit tomber ses tours depuis plusieurs années.

 

PETIT RETOUR EN ARRIÈRE

Le quartier du Mirail (Reynerie, Bellefontaine, Mirail-Université) a été construit dans les années 60 par l’équipe de l’architecte Georges Candilis, élève du célèbre Le Corbusier. A l’époque, on parlait du Mirail comme de la ville nouvelle de Toulouse. Ce projet urbain était novateur puisque la circulation des voitures et des piétons était séparée. De plus, grâce aux coursives, on devait pouvoir circuler à pied d’un immeuble à l’autre depuis les étages afin de faciliter les rencontres entre les habitants. Ce nouveau quartier cherchait à répondre à un besoin de logements pour les classes moyennes, mais le projet n’a jamais été finalisé, seul un tiers du programme initial a vu le jour. Au fil des années, ce sont surtout des populations immigrées qui sont venues y habiter.

Très rapidement, le Maire Louis Bazerque (maire de 1958 à 1971) dira : « Ce fut mon grand échec, j’aurais voulu qu’il n’y ait pas de ségrégation, que soit mixés HLM, logements moyens et de standing ». L’architecte, lui parlera de « Ghetto des pauvres ».

Dans les années 80, une grande partie de la population subit le chômage et se sent de plus en plus exclue, générant des émeutes qui éclatent en 1998 et 2005. En 2005, le Grand Projet de Ville (GPV) programme la démolition ou la réhabilitation des barres du quartier. Sur le site internet de la Mairie, on peut alors lire qu’elle « souhaite donner un nouveau visage à ce quartier car « il connaît des dysfonctionnements : sur fond de grands tripodes de béton gris, rupture urbaine – due aux grandes avenues qui ceinturent le quartier – dégradation des espaces publics, vieillissement du parc de logements et surdensité en logement social. ».

plan initial GPV 2005©mairie de Toulouse

 

Avec la mise en œuvre du GPV, la démolition d’une partie de ce patrimoine commence malgré la résistance de certains habitants qui n’ont ni l’envie ni les moyens de quitter leur logement et leur quartier.

 

ZOOM SUR UN IMMEUBLE DU MIRAIL : MESSAGER, 10 ANS DE DÉGRINGOLADE

L’histoire de cet immeuble est semblable à celle que l’on peut retrouver dans d’autres quartiers prioritaires : un manque de dialogue ressenti alors que la mairie affiche une concertation permanente, les propositions de compensation en deçà des attentes des habitants et habitantes manquant d’information sur leurs droits, une pression qui s’accroît, etc.

En 2008, les locataires et propriétaires interpellent à plusieurs reprises les élus de la municipalité afin qu’ils trouvent une solution face à une insécurité grandissante. Aucune réponse n’est donnée aux habitants concernant les nuisances liées au trafic de drogue et aux actes de vandalisme (ascenseurs en panne régulièrement, boîtes aux lettres et celliers forcés pour servir de dépôt de drogue et d’armes, déjections, ordures déposées dans les parties communes, …). La réponse institutionnelle arrive en 2009 : l’immeuble Messager fera désormais partie des immeubles à démolir.

Immeuble Messager 2 ©Le Pastèke

Les habitantes rencontrées expliquent que, face à cette situation complexe d’insécurité, outre la réponse policière, les autorités se focalisent uniquement sur une solution de réaménagement urbain. Si cette thématique peut apporter une partie de la solution, les aspects sociaux et démocratiques sont, eux, absents.

A partir de 2010, la collectivité propose de racheter les différents appartements sur la base de 800 à 1000 €/m². Soumis à la pression, à de plus en plus d’insécurité et par peur de la démolition annoncée, les propriétaires vendent peu à peu. La plupart ne retrouvent pas de logements équivalents. Par exemple, une famille est passée d’un logement de 120 m² à un appartement de 60 m² seulement dans le quartier des Minimes. Confrontés à cette difficulté, certains propriétaires préfèrent même redevenir locataires. Quant aux locataires, ils ont été contraints d’accepter d’être reloger dans des habitats plus petits et plus onéreux, notamment du fait du chauffage électrique là où Messager bénéficiait du réseau de chaleur urbaine bien meilleur marché.

Dès 2017, les derniers locataires quittent l’immeuble et les appartements vides sont rapidement squattés, favorisant d’autant plus le trafic de drogue. En 2018, une opération de police visant à les déloger laissera des dégradations importantes et non sans conséquences : les fenêtres des appartements squattés seront cassées et feront de l’immeuble vidé une passoire thermique ; les appartements non nettoyés engendreront infections de rats, de punaises et de blattes.

Immeuble Messager 3 ©Le Pastèke

En juin 2021, une nouvelle enquête publique donne un avis favorable à la démolition qui devient dès lors imminente. Malgré la complexité de la situation et les conditions précaires, 17 propriétaires vivent encore dans l’immeuble, refusant les propositions de rachat renouvelées par le groupe des Chalets. Il est difficile de comprendre comment ces 17 foyers ont pu être laissés aussi longtemps dans un environnement si dégradé sans aucune compensation.

 

LA DÉMOLITION COMME SOLUTION ?

Ce cas particulier est l’illustration d’une tendance plus générale dans laquelle la démolition est trop souvent proposée comme la seule solution envisageable. Pourtant, certaines villes ont fait d’autres choix. À Bordeaux, une vaste opération de réhabilitation de 530 logements dans la Cité Grand Parc a été achevée en 2017. Tous les habitants ont été relogés au même prix et avec des logements plus grands. L’agence d’architectes Lacaton & Vassal, reconnue de tous pour son approche architecturale qui défend la rénovation en s’opposant à toute idée de démolition des grands ensembles, explique : « La démolition ne s’impose que rarement car il est toujours possible de penser différemment le bâtiment. [2]» Bordeaux les a sélectionnés pour leur méthode de travail à l’écoute des usagers, leur prise en compte des matériaux et des espaces préexistants.


[1]                Propos tenus par Gilles-R. Souillés, À Toulouse, des habitants de la Reynerie veulent la démission du maire de quartier, La dépêche, 8 mai 2021

[2]                Anne Lacaton dans Imaginaire de transformations, ou la mise à jour des HLM par Lacaton & Vassal, chroniques-architecture.com, 26 mai 2016

Une réponse à “Messager : une adresse qui va disparaître.”

  1. Avatar de Anne EVANO-CAMILLE
    Anne EVANO-CAMILLE

    Bonjour,

    En effet, il reste à Messager environ 17 propriétaires qu’ils soient propriétaires occupants ou propriétaires bailleurs. Il est faux de dire que les habitants sont contre la démolition ; il serait plus juste de dire que certains résidents sont contre cette démolition, car d’autres pensent que ce quartier est saccagé (le mot est faible) par un certains nombre de gens non éduqués et qui n’ont aucun respect ni des autres ni de leur lieu de vie, ni du règlement intérieur. L’environnement était, je dis bien « était » un environnement idéal : château, parc avec des arbres centenaires, tilleuls embaumant en ce mois de juin les diverses allées, métro, facultés etc, etc,. Hélas, tout ce charme est anéanti par les trafics, les business à la sauvette, les voitures qui « crament », les squats, les dégradations incessantes, les pannes d’ascenseur, les pannes de chauffage, les pannes d’eau chaude, les canettes ou bouteilles de verre jetées ici ou là, etc, etc…. Quant à Messager, c’est devenu un véritable « bouge ». Dernièrement alors qu’il y avait une panne d’ascenseur, nous avons été obligés de prendre les escaliers et avons découvert des excréments humains avec vêtements à l’appui à tous les étages. Certains malgré tout cela, continuent de payer leurs charges; d’autres ne les paient plus depuis trop longtemps. Supposons qu’il y ait « réhabilitation » comment feront ils pour les payer car elles seront d’autant plus élevées ? Ce quartier est « foutu » et provoque chez moi, un flot de larmes et me brise le coeur.

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