Comment lutter contre le chômage en commençant par la catégorie la plus éloignée de l’emploi : les chômeurs de longue durée ? En s’armant d’une idée simple : utiliser l’argent public consacré aux indemnités chômage et le transformer en salaire.
L’initiative est loin d’être farfelue : initiée par ATD Quart Monde en 2016 avec 10 territoires expérimentaux, elle est depuis largement soutenue (Emmaüs, Secours Catholique) et va être étendue à 50 territoires supplémentaires en 2020. Elle est portée par le député Laurent Grandguillaume et l’ancien patron de la SNCF et d’EADS Louis Gallois.
La démarche part d’un triple constat aussi pragmatique qu’économique : l’inemployabilité n’existe pas, le travail ne manque pas, c’est finançable car le manque d’emploi coûte plus cher que la production d’emploi.
Des projets ancrés localement
Les projets sont portés par des collectifs motivés à lutter localement (zones de moins de 10 000 habitants) contre la précarité par le manque d’emploi.
Comment ça marche ?
Des chômeurs de longue durée sont embauchés en CDI (Contrat à Durée Indéterminée) sans condition ni sélection à la hauteur des besoins d’emploi locaux. Ils se voient confier un travail qui n’est pas rendu par les entreprises et collectivités locales.
Qu’est-ce que le coût de privation de l’emploi ?
C’est ce que coûte à l’Etat le fait que des personnes soient privées d’emploi (43 milliards d’euros par an). Cela se traduit en « manque à gagner » d’impôts et cotisations sociales et par des dépenses sociales, des dépenses liées à l’emploi et des coûts induits par la privation d’emplois (santé, logement, sécurité, protection de l’enfance).
Économiquement, ça tient la route ?
Le financement d’emplois se fait en réinvestissant les coûts de privation de l’emploi et les bénéfices des entreprises à but d’emploi. L’expérimentation est en cours et les premiers résultats valident la pertinence économique du modèle qui s’avère bien plus efficace que les autres dispositifs d’aide au retour à l’emploi, c’est à dire deux fois moins coûteux que les exonérations de cotisations sociales et 10 fois moins coûteux que le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) selon ATD Quart Monde.
Des structures résilientes à la crise de la Covid19
En raison de leur nature singulière, les Entreprises à But d’Emploi (EBE) ont été particulièrement impliquées, réactives et inventives – en particulier dans le contexte de crise Covid19. C’est ainsi, par exemple, qu’à Prémery, l’EBE s’est redéployée en mettant en place :
- Un service de livraison de courses pour éviter que les personnes les plus fragiles ne sortent trop de chez elles. Cela a mobilisé deux salariés pour les commandes, deux pour les achats et deux pour les livraisons.
- Un service téléphonique pour lutter contre l’isolement en relais de la Mairie. Deux salariés étaient joignables tous les jours.
- Un accueil périscolaire pour les enfants du personnel soignant.
- Enfin, la réouverture de l’atelier motoculture et la poursuite de l’activité de maraîchage, mobilisant sept salariés en tout, ont permis de continuer à proposer aux habitants des produits frais pendant le confinement.
En résumé
L’expérimentation Territoire Zéro Chômeur considère l’emploi comme un bien commun de première nécessité, elle constitue un vrai projet de société à l’échelle du territoire, voire même un laboratoire pour les emplois de demain. Elle cherche à repenser la société pour passer de l’assistance à la co-responsabilité.
Alors que la région s’enfonce dans la crise, il faut s’attendre à une augmentation du chômage dans les prochaines années à Toulouse. Ce dispositif, proposé par Toulouse Actions Citoyennes pendant la campagne, est un outil local et concret pour tenter de répondre à la crise sociale et économique qui risque de toucher durement notre ville. Près d’ici, la mairie de Graulhet a candidaté à son expérimentation.
LES ACTEURS
La collectivité dépose le dossier de candidature d’un territoire à l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD).
Le Comité Local pour l’Emploi (CLE) est composé de citoyens, d’associations, d’acteurs économiques locaux, de TPE/PME, de collectivités, d’élus, chômeurs. Il doit s’assurer que les emplois créés ne viennent pas concurrencer des activités économiques déjà établies sur le territoire.
Les Entreprises à But d’Emploi ou EBE sont des associations ou des structures coopératives à but non lucratif. Elles mettent souvent en œuvre une gouvernance horizontale.
Les salariés sont des chômeurs de longue durée volontaires. Ils sont embauchés en CDI à temps choisi et rémunérés au SMIC. On leur demande d’être polyvalents dans l’emploi qu’ils occupent.
LE DEBAT
POUR
- Le financement des emplois créés ne représente donc pas une dépense publique supplémentaire puisqu’il s’appuie sur le redéploiement de dépenses existantes.
- Ce dispositif ne se limite pas à la question du revenu des chômeurs mais considère l’importance de l’emploi comme facteur d’épanouissement personnel et de lien social.
- L’expérimentation territoire zéro chômeur offre l’opportunité aux territoires d’inventer de nouveaux emplois notamment dans le domaine de la transition écologique. C’est aussi un outil de résilience qui peut répondre rapidement à de nouveaux besoins en cas de crise.
- En partant des compétences et des envies des chômeurs, cette approche augmente les chances de réussite du retour à l’emploi.
CONTRE
- Les économies pour la collectivité ne sont pas encore démontrées et restent complexes à évaluer.
- Le principe de non-concurrence avec les entreprises locales limite la performance économique des EBE. Par ailleurs, il y a un risque que les emplois créés fassent concurrence à l’emploi public (services des collectivités et structures d’insertion).
- L’ambition d’embaucher tous les volontaires parmi les chômeurs de longue durée est un défi humain et organisationnel qui se heurte parfois à des difficultés d’intégration et à des tensions au sein des EBE.
- Déployer le dispositif à l’échelle d’une ville comme Toulouse est un projet très ambitieux qui demandera du temps, de l’imagination, de l’énergie et une forte volonté politique.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Un site : www.tzcld.fr
- Un film : “Nouvelle cordée” de Marie-Monique Robin (2019, M2R films, disponible en VOD)
- Un livre : “Zéro Chômeur ! – Dix Territoires Relèvent Le Défi” de Claire Hédon, Didier Goubert et Daniel Le Guillou (2019, Editions de l’Atelier)
- Une vidéo : “A Mauléon, la fin du chômage de longue durée ?” (Brut) :
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